A l’inbre dou tilell

À propos de cet ouvrage Pierre Martin écrit :

L’insertion de la sensibilité marque un tournant majeur dans la littérature rurale communément pratiquée. Celle–ci axée de préférence et par tradition sur l’ignorance, la vulgarité, la cupidité, les astuces ingénues, le libertinage naturaliste… Comme si ces caractéristiques discourtoises étaient un monopole des couches rurales !
…Parmi les 27 poèmes de « l’ Imbre dau tileuil », je ne veux en retenir présentement qu’un seul, « Suzanne ». A cause de la densité de son vocabulaire. Et parce qu’il me rappelle deux morceaus de la même inspiration qui ont, chacun, leur place dans une anthologie : l’un du siècle de Molière, l’autre du XIXè.
Le premier est de Maynard (1582–1646) qui fut secrétaire de la Reine Margot. Tout jeune il tombe amoureux d’une certaine Cloris dont on ne sait rien de plus, sinon qu’elle se maria. Dès lors, Maynard fut d’une discrétion exemplaire et resta taisant, comme on dit au Palais.
Le second est un poème de Victor Hugo (1837) curieusement intitulé « Guitare » bien que, dans le texte aucune mention ne soit faite de cet instrument.
Toute sa vie un Espagnol âgé, ancien pâtre a été illuminé par la remembrance radieuse d’une praticienne à la beauté héraldique et exotique.
Enfin arrive la fatale séparation. Le comte de Saldagne épouse Sabine, et l’emmène.
Mais rien ne ralentira le remâchement des souvenirs tenaces et obsédants des délectables tourmants.
Eh bien ! la Suzanne d’Ulysse Dubois est faite du même matériau que Cloris et Dona Sabine.
Elle a été remarquée par deux gars du village, deux conscrits qui jadis couraient les balades de concert. Elle en a épousé un : celui qui avait projeté de s’installer en ville.
L’autre est restée au pays : vieux garçon.
Bien que ce ne soit pas dit expressément, on sent bien que s’il est resté célibataire c’est parce que, peut–être inconsciemment, il a évité d’installer une intruse à la place qu’en son fort intérieur, il avait attribuée dès l’origine à Suzanne.
Et les années passent : 25 ans ! 25 ans de silence de part et d’autre. S’il y a eu des nouvelles c’était par des voies indirectes, au hasard des évènements.
Et voici que les deux conscrits se rencontrent au pays. Le sédentaire invite le voyageur à rentrer chez lui prendre un verre.
Et les réminiscences se dévident, à la bonne franquette. Les souvenirs s’étalent pudiquement. Le célibataire n’a pas de rancune. Malgré la discrétion observée de part et d’autre comme sous l’effet d’un accord tacite, l’effigie de Suzanne s’impose dans la conversation comme un leitmotiv impérieux.
Les vieilles réminiscences du célibataire sont fraîches, fidèles et toujours présentes, comme un souvenir tactile.
À l’instar de l’Arlésienne, Suzanne est absente, mythique. Il en est de même de Cloris et Sabine.
On ne peut qu’admirer – ou déplorer – la réserve pudique de ces soupirants trop discrets sur les apparences terrestres des objets de leur obsession.
Mais, les princesses lointaines sont toujours belles.
De tout cela je voudrais tirer une simple conclusion : les « Suzanne » ne sont pas des pièces isolées dans les œuvres de Dubois. Et, dans leur foulée, la gaudriole ne sera plus le thème essentiel de la littérature patoise. Celle–ci pourra nous baigner dans cette atmosphère inédite où il y a de la pitié, du sentiment, de la délicatesse, toute une ferveur platonique, envahissante et quotidienne.
Perspective nouvelle !
A l’inbre dou tilell, Contes et nouvelles en Poitou, Nouvelle édition augmentée, Geste paysanne, Atelier parlange de l’UPCP, Dessins : Pierre Roy, Imprimerie Martineau, Buxerolles (86), 1983, 125 p.

À lire :

Martin Pierre, 1984. À propos du recueil de poèmes en patois d’Ulysse Dubois « A l’imbre dau Tileuil », Bulletin de la SEFCO, n° 120 de janv.–fév. 1984, 48–54. [MP Co 516] ;
Papot René, 1984. A l’inbre dou tilell, Aguiaine n° 122, mai–juin, 221. [MP Co 516] ;
Le Picton, 1987, A l’inbre dou tilell, N° 62, mars–avr., 43.

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